15 juin 2011

Vergogna

berlosconi


Article de Philippe Ridet (correspondant à Rome)dans Le Monde du 230711


L'autorité de Silvio Berlusconi laminée par la crise financière et les affaires.


L'hypothèse d'un changement de gouvernement est publiquement évoquée en Italie où le président du conseil est contesté jusque dans son propre camp, notamment par ses alliés de la Ligue du Nord.


Silvio Berlusconi ne comprend plus les Italiens. La preuve en avait été donnée le 30 mai lors du second tour des élections municipales qui a vu, à Milan-son fief de toujours-, la victoire du candidat de centre gauche pour la première fois depuis près de vingt ans. Soutenant la maire sortante avec tous les moyens médiatiques (journaux, télévision) qu'il contrôle, le président du conseil n'avait pas vu que le campagne se jouait ailleurs, sur les réseaux sociaux et grâce au bouche-à-oreille virtuel de la Toile.

 Deux semaine plus tard, alors que les Italiens étaient invités à se prononcer sur une série de référendum (nucléaire, privatisation de l'eau et protection judiciaire pour le président du conseil), M.Berlusconi réitérait la même erreur. Appelant, à grand renfort d'interventions télévisées, les Italiens à l'abstention pour neutraliser la mobilisation née et relayée par Internet, un univers qui lui est étranger et qu'il n'a pas cherché à investir.

Silvio Berlusconi ne comprend plus la politique. Et ça, c'est nouveau. Le vote des députés , mercredi 20 juillet , en faveur de l'arrestation d'un des leurs, Alfonso Papa, soupçonné de corruption par les juges du parquet de Naples, est plus qu'un évènement historique: une telle autorisation n'a été accordée qu'à cinq reprises dans l'histoire de la République italienne, la dernière fois en 1984. Elle manifeste aussi une nouvelle perte de repère pour le président du conseil, une incompréhension des changements en cours dans la Péninsule. Pour sauver son député, M.Berlusconi comptait sur deux atouts. D'une part, le vote secret qui, selon lui, aurait libéré les élus des mots d'ordre de leur partis. La gauche et le centre appelaient à voter en faveur de la détention provisoire. La droite s'y opposait. Il croyait, d'autre part, au soutient sans faille des élus de la Ligue du Nord, le parti autonomiste et anti-immigrés de son ami Umberto Bossi, devenu son principal allié depuis la défection, il y a un an, des troupes du président de l'assemblée nationale Gianfranco Fini. Il a été déjoué.

Alors que L'Italie est une nouvelle fois confrontée à un mouvement anticaste, en raison de la promptitude avec laquelle les parlementaires se sont exemptés de tout sacrifice à l'occasion du vote du plan d'austérité de 47 milliards d'euros, certains élus n'ont pas voulu affronter de nouvelles critiques en protégeant l'un des leurs. La moitié des députés de la Ligue du Nord a ainsi voté en faveur de l'arrestation de M.Papa.
En la circonstance, M.Berlusconi, 75ans en septembre, n'a pas voulu-ou pas pu- analyser les mutations de la société, et des nouveaux rapports de force au sein de la droite. Habitué aux structures pyramidales où le chef décide, il a cru que ses mots d'ordre suffiraient à rallier son camp. Il est loin le temps où il pouvait dire qu'il dirigeait l'Italie "comme un conseil d'administration".

Si à l'intérieur de son parti, le Peuple de la liberté, ses indications suffisent encore à dicter la ligne, il n'en va plus de même au sein de la Ligue du Nord. Allié docile, la Ligue doute à présent de M.Berlusconi. Habituée à gagner avec lui, elle a appris, depuis les élections municipales de mai, qu'elle pouvait également perdre avec lui. Contesté, M.Bossi, 70ans, doit faire face à une opposition interne qui juge désormais M.Berlusconi-et le contexte sulfureux où il évolue- comme un obstacle à sa progression. Enfin, M.Berlusconi ne comprend plus le monde. Les attaques spéculatives contre l'Italie de ces derniers jours ont révélé par-dessus tout son absence, alors que les marchés attendaient également un message fort de sa part. De ces journées où la Bourse de Milan et les banques ont été soumises à rude épreuve, on retiendra son silence, heureusement comblé par les interventions du président de la république, Giorgio Napolitano, devenu le véritable capitaine d'un pays à la dérive. L'épreuve passée, le président du conseil n'est réapparu que pour montrer la bosse qu'il avait sur le front après avoir glissé dans sa baignoire.
Dix-sept ans après sa "descente sur le terrain", M.Berlusconi n'est plus le leader de son camp. Il est affaibli par les affaires, absent du débat public, assiégé, incapable de s'imposer. La question de sa survie politique est désormais posée et l'hypothèse d'un changement de gouvernement est clairement évoquée. "Cambia il vento" (le vent tourne), peut-on lire sur les affiches de l'opposition.